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1.3

La Candidature:

Calculs

Aaradhya avait à peine passé les portes du village qu’elle entendit une voix aigüe criant Madame ! Madame ! venant de la route derrière elle. Un garçon lui courait après, agitant frénétiquement les bras. Tandis qu’il dérapait en s’arrêtant dans la poussière à côté d’elle, Aaradhya reconnut l’un des étudiants qui apprenait le BASIC dans la cour de l’école. Il avait environ sept ans, les pieds et le torse nus, habillé seulement d’un pantalon beige dont les motifs s’étaient délavés depuis longtemps. Ses cheveux étaient aussi raides et noirs que ceux d’Aaradhya, et sa peau était presque aussi sombre, mais ses yeux étaient d’une étonnante nuance de vert.

“Madame !” s’exclama le garçon essouflé. “Mon grand-père voudrait vous parler !” Il prit sa main et la tira en arrière pour la ramener sur la route.

Le grand-père marchait vers eux, un parasol déchiré pour tout rempart contre le brûlant soleil de midi. Ses cheveux étaient blancs, et comme le garçon il était vêtu d’habits élimés dont les couleurs avaient été depuis longtemps affadies par les éléments. Quand les deux se retrouvèrent proches, il ferma son parasol et salua Aaradhya en s’inclinant légèrement, les paumes se touchant devant la poitrine. Aaradhya fit de même.

“Ce professeur n’est pas bon,” dit le grand-père, “et il faut que le garçon soit éduqué correctement. Sinon il finira comme son père, un homme brisé à qui on ne fait confiance que pour faire des macros de tableur et un fichier .BAT de temps en temps.”

“C’est un destin courant,” lui accorda Aaradhya.

“Je comprends que vous n’êtes pas un professeur de peu de compétences,” continua le vieil homme. “Initiée non seulement en BASIC, mais aussi dans les arts désirables de Java et du C.”

Aaradhya leva un sourcil. “Mon BASIC est hélas obsolète. Et bien qu’il soit vrai que j’aie terminé mon apprentissage en Java, je suis loin d’être un maître.”

“Néanmoins, vous dépassez tous les autres de ce village. Ne pourriez-vous pas rester ici un temps, pour enseigner à ceux qui le désirent ?”

“Mon propre maître a un adage,” dit Aaradhya. “Le zéro peut envier la MAX_VALUE d’un bit, mais elle est loin de la MAX_VALUE d’un Integer.” Elle glissait distraitement sa main le long des coutures de sa robe. “De fait, c’est pour une telle promotion de type que je voyage vers le Nord. Le Temple du Gong d’Airain du Matin propose des épreuves pour trouver de nouveaux novices ce mois-ci. C’est pour cette raison que je n’ose rester même un jour de plus, de peur que leur peu de places ne soient prises.”

“Ah !” se lamenta le grand-père. “J’ai entendu parler de ce temple. Si loin, et de l’autre côté des montages avec ça ! Ne vous serait-il pas plus utile de voyager dans une quelconque sorte de véhicule roulant avec un moteur à combustion ?”

Aaradhya rit. “Vous pourriez tout aussi bien me demander si cela me serait plus utile de me faire pousser des ailes et voler ! Même si on pouvait trouver ce genre d’appareil dans ces provinces, je ne pourrais pas me permettre de l’acheter, pas plus que l’essence pour le faire fonctionner.”

“Peut-être, peut-être,” dit le vieil homme, dans un sourire où il manquait la moitié des dens. “À Reechee il y a un conducteur qui traverse les montagnes tous les jours dans un tel véhicule, un merveilleux engin qu’il a fabriqué à partir d’une locomotive abandonnée. Il l’appelle un bus, car il peut embarquer de nombreux passagers en parallèle. C’est un lointain cousin, et je dois pouvoir le convaincre de te prendre à bord sans payer.” Le grand-père rouvrit son parasol et commença à revenir vers le village. “Tout ce que je te demande, c’est d’enseigner au garçon durant le trajet.”

“Reechee est à trois bons jours de marche,” dit Aaradhya, énervée. “Le double de cela à la vitesse de vos vieilles jambes. Et c’est dans le mauvais sens !”

“Six jours de marche plus deux jours de bus, contre trois semaines de marche,” répliqua le grand-père. Il tira le garçon à son côté. “Quel que soit le langage, le calcul est simple. On peut même le faire tenir dans des Bytes.”

Aaradhya cessa de lui emboîter le pas ; le vieil homme l’ignora et continua. Le garçon lui jeta quelques regards en arrière de temps en temps, mais à chaque fois le grand-père lui fit retourner la tête d’une main ferme.

“Comment puis-je être sûre que votre cousin me laissera passer ?” cria Aaradhya de loin.

“Tu ne peux pas !” cria le grand-père sans se retourner. Il leva l’index. “La vie est un algorithme probabiliste, où des entrées optimales peuvent toujours produire de mauvais résultats. Mais chaque minute de discussion est une minute perdue, et les minutes nous sont précieuses à tous les deux.”

Les deux silouhettes disparurent à un tournant, et Aaradhya fut seule.

Elle se tint là en débattant avec elle-même une minute entière, puis jura en son for intérieur et courut pour les rejoindre.

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