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Cas 226

Printemps, Automne

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Le lundi suivant les premiers bourgeons du printemps, tout le Temple fut appelé à se rassembler dans le Grand Hall par la vieille Jinyu, Abbesse de Tous les Clans et Préoccupations.

Pas un ne fut excusé—en fait, deux moines dans un état désespéré avaient été amenés sur des brancards et déposés contre le mur du fond, à côté du cadavre redressé d’une vieille nonne qui était décédée le Jeudi précédent sans avoir donné son préavis obligatoire de deux semaines.

Tout devant l’estrade de la vieille Jinyu étaient assis les consciencieux moines du Clan des Empreintes de l'Éléphant, qui avaient maîtrisé ensemble lest arcanes de la conception de bases de données et cent bibliothèques de persistence. Les moines s’étaient disposés en lignes et colonnes parfaites, au-dessus de tables de correspondance qu’ils avaient jointes pour l’occasion.

Derrière les Éléphants étaient assis les très instruits moines du Clan du Singe Rieur, qui implémentaient les règles métier des nombreux clients du Temple. Leurs moteurs de règlent étaient d’une intelligence si effrayante qu’il se murmurait que leur base de code était possédée par les esprits d’analystes métier disparus depuis bien longtemps.

Derrière les Singes Rieurs étaient assis les prolifiques moines du Clan de l'Araignée, qui bâtissaient les interfaces Web et les services de toutes les applications du Temple. Comme les technologies Web changeaient souvent, leurs novices étaient entraînés à oublier d’instinct tout ce qui n’étaient plus pertinent, sous peine de perdre la raison. Curieusement, cependant, quand on leur demandait comment fonctionnait cet Art de l’Oubli, les moines ne manquaient jamais de rire et dire dire qu’un tel Art n’existait pas ; car s’il existait, ils se rappelleraient sûrement de l’avoir appris.

Fiers étaient ces Trois Grands Clans du Temple. Ainsi c’est avec un grand désarroi qu’ils apprirent les plans qu’avait Jinyu pour leur futur.

- - -

“À l’automne, l’abbé Ruh Cheen nous a convaincus de goûter le nectar de la méthodologie Agile,” dit la vieille Jinyu à son public. “L’hiver durant, nous avons grignoté son fruit et l’avons trouvé doux. Maintenant le printemps est arrivé, et nous désirons planter les graines d’une grande récolte.”

“Nous n’allons plus choisir aléatoirement des moines de nos Trois Clans pour travailler sur les besoins au fur et à mesure qu’ils apparaissent. À la place, chaque produit aura un Micro Clan bien à lui, dont les membres ne changeront pas.”

“Certains d’entre vous appartiendront à un seul Micro Clan ; d’autres à deux ou trois. Chaque Micro Clan aura ses propres règles, définira ses propres standards, établira ses propres traditions. Les moines de vos Micro Clans seront vos nouveaux frères. Vous travaillerez avec eux, mangerez avec eux, ferez les corvées avec eux, et partagerez une salle avec eux.”

“Je publierai vous nouvelles affectations ce soir. Demain, les Trois Clans n’existeront plus. Maintenant, partez : allez vous préparer.”

Ainsi fit la vieille Jinyu avant de quitter le Grand Hall, dans un concert de murmures inquiets. Même la vieille nonne décédée semblait un poil moins heureuse.

- - -

La jeune maître Zjing se tourna vers le vieux Banzen avec un regard dans lequel on pouvait voir autant de crainte que d’incrédulité.

Zjing dit, “Quand l’Araignée apprendra son art auprès du Singe et de l’Éléphant, quel genre de toiles verrons-nous dans les arbres ?”

“De toiles créatives,” répondit Banzen.

“Et comment pourrons-nous gérer une telle ‘créativité’ ?” continua-t-elle. “Comment ferons-nous les revues de code ? Comment pourrons-nous jouer notre rôle de mentors ? Comment pourrons-nous planifier ?”

“Différemment,” dit Banzen.

“Votre calme me rend folle !” s’exaspéra Zjing. “Je pensais s’il y avait bien quelqu’un qui partagerait mes inquiétudes, ce serait bien maître Banzen.”

Banzen gloussa. “Quand Jinyu fit entrer Ruh Cheen dans le temple, vous avez dit à vos confrères que l'abbesse n'est pas une idiote. Et bien que vous mentiez, vous avez dit la vérité. Jinyu voit que la Voie que prend le Monde n’est pas la Voie qu’avait pris le Temple. Elle a choisi de suivre le Monde.”

“Elle le suit au-delà du bord de la falaise”, grommela la nonne.

“En effet !” dit Banzen dans un sourire. “Mais qu’est le Temple : une pierre, ou un oiseau ?” Le vieux maître prit le bras de Zjing sous le sien et se dirigea vers les portes, avec un hochement de tête respectueux pour la vieille nonne décédée. “J’ai vécu de telles périodes par le passé. Le plongeon initial est toujours déroutant pour l’estomac, mais pour l’instant nous ne nous sommes pas encore écrasés sur les rochers en contrebas.”

“Alors, combien de temps dois-je attendre avant de voir le Temple se faire pousser des plumes ?” demanda Zjing.

“Ma chère jeune maître,” dit Banzen. “N’aviez-vous pas compris les termes de votre propre promotion ? Nous sommes les plumes.”