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Un nouveau moine du Clan des empreintes de l'Éléphant remarqua que tous les frères sous la tutelle de maître Bawan répondaient aux questions promptement, sans la moindre pause. Ceux qui hésitaient recevaient très vite un coup de bâton sur la tête, après quoi ils devaient rester silencieux pour le reste de la journée—si, bien sûr, le coup ne les avait pas étendus inconscients sur le sol. Le jeune moine demanda à l’un des frères, “Pourquoi maître Bawan punit ceux qui prennent du temps à répondre ?” “Parce qu’il croit qu’ils se mettent à penser,” dit le moine plus âgé. Il indiqua une rangée de crânes disposés sur un rebord au-dessus de la porte du maître. Certains étaient ternes et poussiéreux, tandis que d’autres semblaient avoir récemment quitté leur précédent propriétaire. Mais sur le front de chacun étaient écrits les mots NE PENSEZ PAS dans l’écriture très reconnaissable du maître. Le moine prit congé, laissant le jeune frère réfléchir à l’algorithme de Bawan. Quelque temps après ces mêmes moines se retrouvèrent en pleine nuit à travailler furieusement pour mettre à jour l’une des vénérables bases de données documentaires du clan. Des systèmes critiques avaient été mis hors ligne pendant que les vieux documents étaient migrés vers les nouveaux serveurs. Le script de conversion tourna des heures, mais s’interrompit à deux doigts de la fin à cause d’un problème mineur. On relança le script, mais l’aube approchait rapidement et les moines spécifièrent que tout document déjà écrit par la première itération serait ignoré. Tandis que la seconde itération parcourait à grande vitesse la portion de base que le premier script avait déjà traité, Bawan remarqua quelque chose de curieux. Des milliers de messages défilaient, tous semblables à ceci : document 2677091: skipped (already exists) document 2677092: skipped (already exists) document 2677093: skipped (already exists) Mais une fois de temps en temps apparaissait un autre message comme ceci : document 2677094: skipped (already exists) (** source is newer) “Pourquoi cette différence ?” demanda Bawan. “Je ne saurais dire,” répondit rapidement l’aîné des deux moines. Bawan renifla et frappa la joue de l’homme du revers de la main. Puis il se tourna vers le plus jeune. “Pourquoi cette différence ?” répéta-t-il. À cet instant—son esprit passant à vive allure entre les pensées de la main du maître, ou de son bâton—le jeune moine eut un flash d’inspiration. “Décalage d’horloge,” déclara le jeune moine. “Quand nous récupérons un document source de l’ancien serveur, nous conservons l’heure de dernière modification, puis nous créons le document cible. Mais si les horloges des systèmes ne sont pas en accord, le script peut être amené à penser que la source est plus récente que la cible.” Le maître trouva en effet une légère divergence entre les deux serveurs. Il hocha la tête en signe d’approbation et prit congé, laissant le jeune moine se réjouir d’avoir compris l’algorithme de Bawan. Le lendemain, Bawan ordonna que le Clan s’assemble hors de son bureau. Tandis que tous attendaient l’apparition du maître, le moine expérimenté murmurait que Bawan avait passé la journée à rassembler des preuves irréfutables qu’un décalage d’horloge était bien responsable de ces étranges messages d’erreur. “Qu’a-t-il trouvé ?” demanda une nonne. “Rien de la sorte,” dit le moine. “En vérité, un serveur avait été laissé en marche par inadvertance durant la migration, alors nous avions encore des utilisateurs en train de faire des modifications dans l’ancienne base de données. La seconde conversion a ignoré ces documents avec ce fameux message. Quand le trafic a été rerouté vers la nouvelle base de données, les modifications suivantes des utilisateurs ont rendu impossible la restauration des modifications perdues. Cela va grandement embarasser notre clan.” La discussion s’arrêta brutalement quand Bawan émergea de son bureau avec une échelle, qu’il grimpa ensuite pour placer un tout nouveau crâne brillant sur le rebord au-dessus de la porte. Les traits rappelaient quelque peu ceux du jeune moine, qu’on n’avait pas vu de la journée. Comme auparavant, les mots NE PENSEZ PAS étaient inscrits sur son front. Et sur la mâchoire—invisible à quiconque se tenait plus bas que le rebord, mais parfaitement lisibles tandis que le maître l’emportait—était écrit un seul mot, SACHEZ. Traduit par Sylvain Abélard. Un extrait de The Codeless Code, par Qi (qi@thecodelesscode.com). Distribué sous la Creative Commons Attribution-NonCommercial 3.0 Unported License. |